Après plusieurs rendez-vous manqués, le président français se rend lundi et mardi à Belgrade pour tenter de réparer des relations bilatérales très abîmées ces dernières années. Paris entend se « ré-engager » en Serbie, ne serait-ce que pour ne pas laisser la Russie et la Chine occuper le terrain.
Une claque diplomatique, de la négligence et plusieurs rendez-vous manqués : c’est un passif plutôt chargé qu’Emmanuel Macron va tenter de solder lors de sa visite officielle à Belgrade, lundi et mardi, la première d’un président français depuis dix-huit ans. Les relations d’amitié entre la France et la Serbie sont aussi solides et anciennes qu’elles ont été mises à rude épreuve ces vingt dernières années. La première fracture s’est produite en 1999 avec l’intervention de l’Otan qui a forcé la Serbie à abandonner sa province du Kosovo avec laquelle les tensions n’ont jamais cessé. Belgrade n’a pas non plus apprécié la reconnaissance rapide par Paris de l’indépendance du Kosovo, le 17 février 2008.
Coup du sort
Récemment, Paris a accumulé une série d’impairs qui ont ravivé la colère des dirigeants serbes. Il y a d’abord eu la gaffe monumentale du protocole lors des commémorations de l’armistice du 11 novembre 2018, à Paris. Le président serbe Alexander Vučić avait été placé dans une tribune secondaire alors que le président du Kosovo, son ennemi héréditaire Hashim Thaci , et le président turc Erdoğan étaient assis tout près de Poutine, Trump et Merkel, elle-même représentante de la puissance ennemie… Oublier que la Serbie a joué un rôle déterminent dans la victoire de la première guerre mondiale a été vécu comme une profonde humiliation à Belgrade.
Liens distendus
Il y a eu ensuite un premier rendez-vous manqué début décembre. En pleine crise des gilets jaunes, le président français décide d’annuler une visite à Belgrade . Nouveau coup du sort début juillet lorsque le sommet projeté à Paris avec la Serbie et le Kosovo, en présence de la chancelière allemande est à son tour reporté. Raison officielle, un problème de calendrier surchargé avec la réunion du G20 et le sommet européen convoqué en urgence pour choisir les dirigeants de l’Union européenne. En coulisses, on apprend que c’est le président serbe qui, à couteaux tirés avec le Kosovo, a décliné l’invitation : « Il y a une tension entre Paris et Belgrade, c’est une évidence » reconnaît-on à l’Elysée, et « l’on souhaite renouer les liens distendus et repartir de l’avant »
Alstom, Egis, Suez
Une part importante de la visite sera réservée au mémoriel. Les deux présidents se retrouveront lundi après-midi au parc de Kalemegdan pour l’inauguration du monument rénové de Reconnaissance à la France , symbole par excellence de l’amitié franco serbe. Il avait été vandalisé au lendemain du 11 novembre…
Au-delà, l’objectif du déplacement en Serbie est bien de « dépasser » le ressentiment et de renouer le dialogue et la coopération. Dans le domaine économique -Emmanuel Macron sera accompagné de quelques chefs d’entreprise- Alstom, Egis, Suez et Vinci ont déjà remporté des contrats, qu’il s’agisse de la concession de l’aéroport de la capitale ou du traitement des déchets. La France tente de décrocher le métro de Belgrade pour lequel Alstom est en lice, mais la Chine est en embuscade . « La France a été moins présente que d’autres en Serbie ces quinze dernières années » explique l’Elysée. Durant cette période, la Chine mais aussi et surtout la Russie ont gagné en influence.
Faiblesses à corriger
C’est toujours dans l’Union européenne que la Serbie dessine son avenir même si les sondages montrent des liens croissants de la population avec la Russie. L’adhésion rapide de ce pays des Balkans à l’UE se heurte à un triple obstacle. Le refus de nombreux Etats dont la France, de faire entrer de nouveaux membres dans un club déjà fragilisé et en proie au doute. L’impréparation des candidats ensuite : La Commission a noté dans son dernier rapport sur la Serbie qu’il y a encore de graves faiblesses à corriger dans les domaines du pluralisme des médias, de la corruption et du blanchiment d’argent, du crime organisé et du fonctionnement de la justice. « La France se propose d’aider la Serbie à adapter son modèle » note-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat.
Tensions entre Pristina et Belgrade
Enfin, vue de Paris, la normalisation de la situation explosive qui continue de régner entre la Serbie et son ancienne province, le Kosovo, doit être considéré comme un préalable à l’adhésion. Sur le terrain, la situation s’enflamme plutôt qu’elle ne se calme. Dernier épisode en date, l’imposition par Pristina de 100 % de droits de douane sur les produits serbes importés qui bloque toute reprise du dialogue avec Belgrade. Un des buts de la visite d’Emmanuel Macron est de tenter de ramener les deux parties autour d’une table de négociations.
(Les Echos 14/07/2019)