Au lendemain de la répression sanglante du mouvement étudiant, le régime communiste met le cap sur l’enrichissement économique. Cette stratégie s’accompagne d’un contrôle renforcé de la société et d’une politique répressive qui s’est accentuée avec Xi Jinping au pouvoir.
Située en plein coeur de Pékin, la place Tiananmen est un lieu isolé du reste de la ville. Pour y pénétrer, les touristes venus des quatre coins de Chine et du monde doivent franchir des portiques de détection de métaux, faire passer les sacs au rayon X et scanner leur pièce d’identité. Passés les barrières de sécurité et les gardes, ils sont ensuite discrètement surveillés par des dizaines de caméras accrochées aux réverbères. Trente ans après la répression sanglante du mouvement pro démocratie, le régime communiste chinois a déployé un vaste arsenal technologique pour empêcher toute nouvelle forme de protestation . « Prendre d’assaut Tiananmen paraît aujourd’hui littéralement impossible, admet Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’Université baptiste de Hong Kong. Avec l’accumulation des caméras dans tout le pays, les technologies de reconnaissance faciale, le recueil de vastes données par les organes de sécurité, le pouvoir chinois a démontré jusqu’à présent qu’il avait toujours un coup d’avance sur d’éventuels mouvements de contestation ».
Sujet tabou en Chine
Survenu dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, le massacre de Tiananmen reste un sujet tabou en Chine. Le régime communiste s’efforce de censurer toute référence sur Internet et les réseaux sociaux, interdit toute forme de célébration et essaie, à l’approche de la date sensible, de museler dissidents, intellectuels, juristes ou les « Mères de Tiananmen », groupe de familles de victimes qui réclament inlassablement vérité et justice. Encore aujourd’hui, les événements, qualifiés de « rébellion contre-révolutionnaire » par Pékin, restent méconnus de la jeune génération. « J’en ai entendu parler par mes camarades de lycée puis un de mes professeurs d’université qui avait participé aux événements, nous l’a évoqué implicitement, explique une jeune étudiante en publicité, à Pékin. Mais je ne sais pas précisément ce qui s’est passé. C’est de l’histoire ancienne de toute façon ».
Liberté d’expression restreinte
Dès le lendemain de Tiananmen, le Parti communiste tire les leçons de l’effondrement de l’URSS et remet le cap sur l’amélioration économique et la promesse d’une vie meilleure. « Mais cette stratégie s’accompagne aussi d’une reprise en main idéologique du Parti-Etat, d’un contrôle renforcé de la société et d’une politique répressive qui s’est accentuée avec Xi Jinping », poursuit Jean-Pierre Cabestan. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, la répression des dissidents, des activistes et des ONG s’est accrue, le pays s’est doté d’un arsenal législatif visant à tuer dans l’oeuf toute forme d’opposition et a massivement investi dans la surveillance policière. « La liberté d’expression a été considérablement restreinte et les discussions ne peuvent avoir lieu que de manière indirecte et opaque, voire pas du tout », note Frank Pieke, directeur de l’institut allemand Merics, spécialiste de la Chine. Pour nombre de Chinois, la consommation et la sécurité sont désormais la priorité.
En 2017, la mort en détention de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix, a privé le mouvement démocratique chinois d’une figure de proue tandis qu’à Hong Kong le mouvement pro-démocratie fait face à l’influence croissante du régime de Pékin. « Il existe encore un mouvement réformateur et démocratique en Chine, poursuit Jean-Pierre Cabestan. Mais il est très marginalisé et inconnu de la grande majorité de la société ».
(Les Echos 03/06/2019)