Les économistes Uri Dadush et Guntram Wolff imaginent, dans une tribune au « Monde », les conséquences dramatiques pour le commerce international d’une disparition de l’institution genevoise, minée par l’administration Trump.
Tribune. Aussi essentielles que soient les négociations commerciales entre la Chine, les Etats-Unis et l’Union européenne (UE), elles détournent notre attention de l’actualité phare du moment : l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’institution sur laquelle repose l’ordre économique mondial, est menacée d’extinction. La communauté internationale se doit de la défendre comme s’il n’existait pas d’alternative, mais elle doit en même temps se préparer à la possibilité que celle-ci cesse d’exister un jour.
Pour les économistes que nous sommes et pour la plupart des délégués commerciaux que nous connaissons, imaginer un monde sans l’OMC est aberrant ; le fait même de poser cette question risque de couper court à toute discussion sérieuse sur le sujet.
Il faut rappeler que le commerce international est l’élément vital de l’économie mondialisée, et c’est pourquoi nous serions irresponsables de ne pas considérer cette éventualité. Il faut surtout garder à l’esprit que l’Europe repose intégralement sur le commerce mondial. A titre d’exemple, l’Allemagne dépend de ses exportations à hauteur de presque 20 000 euros de revenu annuel par habitant, et la France à plus de 10 000 euros.
Règles bafouées
La menace qui pèse sur l’OMC est avérée, et ce, sur quatre fronts.
En premier lieu, les négociateurs commerciaux sont incapables d’avancer sur les questions essentielles pour les 164 Etats membres de l’institution. Les enjeux sont nombreux, et vont de questions dont on discute en vain depuis des années comme la libéralisation des services ou la limitation des subventions agricoles, à des questions nouvelles qui sont devenues incontournables dans notre économie actuelle, comme le commerce numérique.
En second lieu, et il s’agit là de la menace la plus immédiate, l’administration Trump bafoue allègrement les règles de l’OMC en justifiant ses actions unilatérales derrière des subtilités juridiques, alors même qu’elle affirme défendre l’institution.
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En troisième lieu, et ceci est de tout aussi mauvais augure, les Etats-Unis remettent ouvertement en cause la légitimité du mécanisme de règlement des différends de l’OMC en refusant de renouveler le mandat des membres de son organe d’appel. L’étendue des dommages causés par les politiques actuelles du gouvernement américain est immense.
Certains délégués commerciaux haut placés diraient – seulement en privé – que les Etats-Unis ont en réalité déjà quitté l’OMC. Même si une future administration renversait la tendance, le système de commerce international que les Etats-Unis ont promu depuis la fin de la seconde guerre mondiale aura perdu toute crédibilité, peut-être même de manière irréversible.
(Le Monde 23/04/2019)