L’économiste Antoine Bozio est spécialiste des retraites. Ses réflexions ont inspiré les partisans de la mise en place d’un système universel par points en France. Il explique pourquoi la réforme promise par Emmanuel Macron devrait à la fois rendre confiance aux Français et garantir l’équilibre financier. Pour lui, créer un âge-pivot n’est pas la façon la plus efficace d’inciter les assurés à cotiser plus longtemps.
Pourquoi réformer complètement aujourd’hui un système de retraite qui a déjà été adapté à de nombreuses reprises ?
La retraite obligatoire et publique pèse 14 points de PIB, c’est un montant très important qui explique en grande partie pourquoi les prélèvements obligatoires sont plus élevés en France qu’ailleurs. Le rendement du système est positif : en cotisant, on gagne autant d’argent pour sa retraite qu’en épargnant via une assurance-vie. Pourtant, les Français ont le sentiment inverse. Ils ne se rendent pas compte de l’utilité des cotisations et ils n’ont pas confiance dans l’avenir du système de retraite. Le fait d’empiler les réformes tous les cinq ans n’arrange rien. C’est un immense gâchis ! Cette réforme est vraiment l’occasion de rendre le système plus lisible, et de garantir son équilibre pour de bon.
Les syndicats alertent sur le fait que des pays comme la Suède, en mettant en place un système comparable, ont dû diminuer les pensions…
Il n’y a pas eu de déstabilisation du système, contrairement à ce que j’entends souvent. L’âge de départ a augmenté mais un peu moins que ce qui était anticipé. Cela a conduit à une baisse relative des pensions versées, mais bien moindre que ce qui se passerait en France si l’on conservait les règles actuelles. Car quand on dit que le système de retraite devrait rester proche de l’équilibre à l’avenir, c’est en supposant que la croissance augmentera plus vite que les pensions. Le non-dit, c’est la dévalorisation des retraites par rapport aux salaires. A l’inverse, si la croissance n’est pas au rendez-vous, le déficit des retraites va exploser. La situation financière reste très fragile, il y a un vrai risque de finances publiques sur les retraites.
Le gouvernement a-t-il commis une erreur au départ, en affirmant qu’il n’y avait plus de besoin de financement et que la réforme ne viserait pas à faire des économies ?
Il voulait faire comprendre, à juste titre, qu’il ne s’agissait pas simplement d’une réforme paramétrique comme toutes les précédentes. Mais il a oublié d’insister sur le fait que cette réforme va permettre d’équilibrer durablement les régimes de retraite, ce que le système actuel ne garantit pas du tout.
Comment cet équilibre est-il garanti ?
C’est le barème du système de retraite, c’est-à-dire le niveau de pension rapporté à l’âge de liquidation, qui fait l’équilibre. Que les gens partent à 62 ou à 67 ans, ils reçoivent ce qu’ils ont cotisé. Tous les âges sont « d’équilibre ». A condition, bien sûr, que le barème évolue avec la démographie et l’espérance de vie, indépendamment de la croissance. C’est essentiel.
Le gouvernement réfléchit à des mesures d’économies de court terme, préalablement à la réforme…
C’est une grave erreur. Je peux comprendre que d’ici à 2025, il faille assurer l’équilibre des retraites, mais si c’est pour payer autre chose, comme des baisses d’impôts ou la prise en charge de la dépendance, ça n’a aucun sens. Et la pédagogie de la réforme du régime universel sera impossible. Est-on prêt à la sacrifier pour gagner 1 milliard d’économies en 2020 ?
Edouard Philippe a évoqué la mise en place d’un « âge d’équilibre », par exemple à 64 ans, qu’il faudrait atteindre sous peine de décote. Et cette nouvelle décote pourrait être mise en place dès l’année prochaine. Qu’en pensez-vous ?
Introduire un âge d’équilibre dans le système actuel serait étrange. On demanderait à des gens de cotiser plus alors qu’ils peuvent prétendre au taux plein. En revanche, dans le futur régime universel par points, où il n’y a plus ni trimestres ni âge du taux plein, la question de fixer un âge-repère se pose. Non pour garantir l’équilibre, mais pour éviter que les gens partent avec des pensions trop basses. Une solution pourrait être de définir un taux de remplacement acceptable, par exemple 75 %, et d’informer individuellement chacun de l’âge jusqu’auquel il doit travailler pour atteindre ce niveau, en temps réel, via une application mobile. C’est un gros chantier pour les caisses de retraite, qui devront conseiller et accompagner les assurés avant la liquidation. Cela augmentera beaucoup plus fortement l’âge de départ qu’en multipliant les décotes et autres malus.
Le gouvernement semble craindre des départs massifs à 62 ans, avec des petites retraites à la clef et de gros déficits…
Ce n’est pas ce qui s’est passé en Suède. Cette crainte me semble non fondée. Je vous rappelle aussi qu’en France, entre 1945 et 1971, la retraite était à 60 ans, on mourait à 65 ans, mais personne ne partait à 60 ans !
Un âge d’équilibre à 64 ans dans le futur système, qui serait le même pour tous, ça donnerait un vrai repère, non ?
Ce serait moins logique, car le taux de remplacement ne sera pas le même pour tous à cet âge-là. Et puis un ouvrier n’aura pas forcément la même utilité ou le même intérêt à partir à 67 ans qu’un médecin. Il faudra par ailleurs que cet âge d’équilibre évolue dans le temps, sinon l’équilibre ne serait plus garanti.
Comment faire pour basculer dans le nouveau système sans que les Français se sentent complètement perdus ?
Après réflexion, il ne faut pas prendre exemple sur les Suédois, qui ont choisi de conserver pendant des années une partie des droits calculés dans l’ancien système, tout en acquérant des points dans le nouveau. C’est trop lent, et encore plus incompréhensible que le système actuel. Je pense qu’il faut convertir les anciens droits dans le nouveau système d’un coup. Mais c’est très difficile, il faut faire travailler des actuaires sur la valeur future des droits acquis. Car la règle actuelle les dévalorise au fil du temps, du fait de l’indexation sur l’inflation, alors que la nouvelle règle leur permet de progresser à un rythme plus rapide : attention à ne pas partir de trop haut, sachant qu’il y aura de meilleures revalorisations des pensions par la suite. Il faudra un processus de conversion absolument juste et inattaquable pour ne pas entamer la confiance. Enfin, pour certaines catégories de travailleurs, il ne faut pas se précipiter. Pour lisser les effets de la prise en compte des primes des fonctionnaires, ça ne me choquerait pas qu’on mette dix ans.
Comment doit évoluer le minimum de pension, qui est versé aux retraités qui ont travaillé toute leur vie avec un salaire faible ?
On doit pouvoir bonifier les droits dans le nouveau système, mais sans faire un montant-plafond comme aujourd’hui. Pourquoi pas mettre en place une « prime contributive », sur le modèle de la prime d’activité ? Les cotisations payées seraient augmentées pour les petits salaires.
Quelles sont les nouvelles solidarités à inventer dans le régime universel ?
Le gouvernement veut reproduire à l’identique les dépenses pour chaque type de solidarité, il n’est donc pas prévu de faire du neuf. Mais l’avantage du régime à points, c’est que toutes les périodes d’inactivité que l’on souhaite compenser, maternité, maladie, ou chômage, pourront l’être à 100 % si on le décide. C’est beaucoup plus efficace que de donner des trimestres, qui peuvent s’avérer inutiles dans le calcul des droits, et qui font baisser le salaire de référence – donc le niveau de pension. Dans le nouveau système, on peut indemniser intégralement les assurés, tous les leviers actionnés ont un impact direct sur la pension.
(Les Echos 08/07/2019)