Alors que l’échéance approche pour le Brexit, avec une date butoir au 12 avril pour trouver un accord, la perspective d’un « no deal » semble s’éloigner. Malgré leur agacement face aux tergiversations de Londres, les dirigeants européens n’envisagent pas sérieusement une telle hypothèse, dont le coût économique et sécuritaire serait incommensurable pour l’Europe. L’hypothèse d’un nouveau report prend donc corps.
Vous reprendrez bien quelques longs mois de Brexit ? Si les Européens se sont réjouis de la volonté de Theresa May de dialoguer avec l’opposition travailliste en vue d’un éventuel compromis, la prudence reste de mise à Bruxelles : de longues tractations avec Londres ont enseigné aux Vingt-Sept à quel point « le compromis est quasiment impossible » dans un système où domine, en matière de débat, « la lutte à mort », lâche un poids lourd de la machine européenne.
Situation perverse
Faudra-t-il, dès lors, accepter la perspective d’un « no deal » le 12 avril au soir ? En réalité, presque personne ne l’envisage. C’est toute la perversité de la situation actuelle : tout en multipliant les préparations au no deal, et en communiquant abondamment sur ce sujet, les Européens ont tout intérêt à éviter ce scénario. « Presque tout le monde se retrouve sur cette idée fondamentale : en aucun cas nous ne voulons porter la responsabilité d’un no deal », résume une source diplomatique.
Le Brexit étant, d’abord, une bataille idéologique, pas question d’offrir aux « hard Brexiters », sur un plateau, les arguments de leurs futures diatribes à l’encontre de l’UE. Pour cette simple raison, les Européens ont toutes les chances, lors de leur sommet du 10 avril, de repousser l’échéance. Donald Tusk, le Polonais qui préside la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement, a d’ailleurs fait savoir qu’il soumettrait l’idée d’une extension « flexible</a> » de l’adhésion à l’UE du Royaume-Uni, pour douze mois au plus. Theresa May, elle, a formellement demandé une prolongation jusqu’au 30 juin 2019.
Sueurs froides
Si l’idée d’une extension s’installe dans les esprits, c’est, plus fondamentalement, que l’hypothèse du no deal donne des sueurs froides aux Européens. Certes, le coût des tergiversations devient chaque jour plus flagrant. En polluant le débat européen, le Brexit empêche d’avancer sur tous les sujets urgents. Et en maintenant une incertitude permanente, il finit par coûter cher aux acteurs économiques</a> comme aux Etats qui mettent en place des mesures de contingence. Au plan strictement économique, « le jour viendra où le no deal finira par sembler moins coûteux que d’éternelles prolongations », poursuit la même source, qui assène :« Nous en avons tous ras le bol de nous réunir toutes les trois semaines pour venir écouter les nouvelles idées de Theresa May »
Mais ces arguments ne suffiront probablement pas à faire pencher les Vingt-Sept pour le no deal dans un futur proche. D’abord, parce que les marchés n’ont pas encore intégré son véritable coût. En réalité, il aurait des conséquences économiques violentes</a> , et l’Europe n’a guère besoin d’un tel coup de massue alors qu’elle traverse une mauvaise passe économique. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les difficultés du secteur automobile allemand.
L’impossible confrontation
Surtout, cette négociation historique est bien plus qu’économique : c’est tout l’avenir géostratégique du continent européen qui est en jeu. Et sur ce plan, la frilosité d’Angela Merkel devant le no deal est contagieuse. Comment ne pas redouter les conséquences d’un tel scénario sur la stabilité politique de l’île d’Irlande ? Comment ne pas, surtout, s’inquiéter d’une relation devenue délétère avec l’autre pays européen disposant de la dissuasion nucléaire et d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU ? Comment opter pour la confrontation avec ce qui reste, aujourd’hui, le véritable centre financier de l’UE ? Comment ne pas imaginer que la détérioration des relations avec Londres n’entraîne de sérieuses conséquences, le Royaume-Uni livrant une forme de concurrence déloyale à l’Union européenne ? Ces hypothèses peuvent sembler lointaines ; elles n’en sont pas moins l’inavoué de ce grand bras de fer.
Se serrer les coudes face aux menaces
Dès qu’on interroge les spécialistes des questions de défense, il apparaît clairement que personne n’envisage l’avenir de l’Union européenne sans un lien étroit avec Londres. Dans un environnement stratégique international dont, selon le directeur de l’Ifri, Thomas Gomart, « la principale caractéristique est la rapidité de la dégradation », les Européens savent à quel point il est devenu urgent, pour eux, de se serrer les coudes face aux menaces.
L’apaisement, seule solution
Qu’ils le veuillent ou non, les Européens sont donc condamnés à chercher l’apaisement avec Londres. D’où l’idée d’une prolongation longue de l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE qui pointe. Une prolongation qui impliquerait la participation du pays aux prochaines élections européennes et son maintien, pour de longs mois encore, dans la machine européenne. L’argument de certains Brexiters, selon lequel le no deal coûterait plus cher aux Européens qu’à leur pays, a toujours fait sourire les Vingt-Sept en matière commerciale. Force est de reconnaître qu’au plan stratégique, ils n’avaient pas tout à fait tort.
(Les Echos 08/04/2019)