À trois mois des élections, les coupures d’électricité qui plongent le pays dans l’obscurité illustrent la débâcle de ses entreprises publiques, au grand dam du gouvernement. Bien loin du Venezuela plongé lui aussi dans le noir, l’Afrique du Sud est confrontée depuis le 11 février à des coupures d’électricité sans précédent. Des délestages qui tombent au plus mal pour le pays qui s’apprête à voter pour des élections générales le 8 mai prochain. Jusqu’à mardi dernier, le gouvernement sud-africain s’est dit incapable de prévoir quand ces coupures prendront fin. En fait, pour éviter le black-out total du réseau, le géant public Eskom, qui fournit 90 % de l’électricité, plonge dans le noir, pendant plusieurs heures et à tour de rôle, des quartiers entiers du pays. En 2008 déjà, les délestages avaient été utilisés pour réduire la pression sur le réseau électrique. Même si le ministre des Entreprises publiques, Pravin Gordhan, a expliqué la semaine dernière que les autorités tentaient toujours de comprendre l’origine du problème – « Nous avons besoin de conclure ces enquêtes. Nous reviendrons vers vous dans les 10 à 14 prochains jours », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Johannesburg –, la réalité est que la crise est bien plus profonde. Eskom est pointé du doigt pour sa très mauvaise gestion depuis des années. Le groupe croule sous une dette abyssale de 420 milliards de rands (26 milliards d’euros). Et actuellement le réseau est affecté par le cyclone Idai qui a frappé à la mi-mars le Mozambique voisin, où Eskom s’approvisionne partiellement. Des pylônes électriques entre le barrage hydro-électrique de Cahora Bassa, dans l’ouest du Mozambique, et les centrales électriques en Afrique du Sud ont été endommagés. « Ce sont des temps difficiles », a reconnu Pravin Gordhan, « et les petites et grandes entreprises doivent travailler dans des conditions compliquées ». Le ministre a présenté ses excuses, en particulier auprès des entreprises paralysées par des pannes quotidiennes dans la première puissance industrielle du continent africain. Les conséquences sur les entreprises sont terribles, beaucoup fonctionnent au ralenti depuis plusieurs semaines. Au quotidien, les habitants sont impactés par les feux de circulation qui ne fonctionnent pas alors que les appareils électriques tombent régulièrement en panne. Pour beaucoup, l’ANC a « pillé » et « cassé Eskom », qui se retrouve « sur le point de s’effondrer », a dénoncé le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA). Pravin Gordhan a précisé qu’une équipe sud-africaine était chargée d’évaluer les dégâts. L’actuel président d’Eskom, qui a pris ses fonctions il y a un an, Jabu Mabuza, a déclaré à la commission d’enquête judiciaire sur la corruption sous l’ère Zuma (2009-2018) que des personnes extérieures à l’entreprise prenaient les décisions et les soumettaient simplement au conseil d’administration pour approbation. Le nouveau patron a décrit comment divers cadres supérieurs d’Eskom envoyaient des courriels contenant des renseignements confidentiels sur l’entreprise à des associés des frères Gupta, des hommes d’affaires d’origine indienne proches du président Zuma. Les informations étaient transmises pour aider les Gupta à obtenir un avantage déloyal lorsqu’ils soumissionnaient pour des contrats d’Eskom. La corruption présumée sous Jacob Zuma était organisée autour du siphonnage de millions de dollars par le gouvernement et les agences d’État qui accordaient des contrats frauduleux à des entreprises en échange de pots-de-vin. Dévastatrice sur le plan économique, la dégringolade d’Eskom inquiète aussi politiquement le président Cyril Ramaphosa et son parti, l’ANC, en pleine campagne pour les élections du 8 mai. Le président sud-africain et le ministre des Finances, Tito Mboweni, ont présenté deux propositions principales pour réparer le service public. Le premier est une importante injection de fonds. Mboweni a annoncé que le Trésor national fournirait à Eskom 23 milliards de rands en espèces par an pendant trois à dix ans. Cela s’ajoute au soutien financier en 2015, qui a dépassé 150 milliards de rands de coûts pour l’État. L’aide financière sera en grande partie financée par la réduction des autres dépenses de l’État ainsi que par une augmentation des emprunts. La deuxième annonce majeure est la division prochaine en trois composantes : la production, le transport et la distribution. En fin de semaine dernière, la Banque centrale a ramené de 1,7 à 1,3 % sa prévision de croissance pour cette année. (Le Point 01/04/2019)