Alors que la campagne officielle commence ce lundi, le sujet peine à intéresser, et la participation pourrait s’avérer historiquement faible. La dynamique des partis souverainistes vient confirmer la crise que traverse l’Union, et pourrait constituer un test majeur pour le fonctionnement institutionnel du bloc.
Plus elle devient essentielle, moins elle enthousiasme. L’Union européenne s’apprête à subir un test majeur dans moins de deux semaines : des élections placées sous la double menace de l’abstention et du vote de rejet. Alors que la campagne officielle débute ce lundi, l’inquiétude se porte sur la participation qui pourrait à peine dépasser les 40% en France, un point bas jamais atteint, et s’avérer plus faible encore chez les jeunes. Comme si rien ne pouvait arrêter le désamour, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne a récemment déploré, dans une interview au « Handelsblatt », le fait que l’UE ait « perdu sa libido ».
Une « réduction binaire » qui agace
Pour tenter de donner un coup de fouet à cette relation usée par le temps, les dirigeants de l’UE se sont réunis, jeudi 9 mai en Roumanie , dans un exercice d’affichage. Écartant délibérément les sujets qui fâchent, ils ont promis d’œuvrer à l’unité, égrenant une liste de bonnes intentions. Les présidents des pays de l’UE ont également signé un appel conjoint pour appeler leurs concitoyens à faire entendre leur voix. Ces exhortations suffiront-elles ?
Signe de l’importance toute relative qui y est accordée, la campagne ne démarre que dans la dernière ligne droite. Sur le plan hexagonal, Emmanuel Macron y est entré de plain-pied, jeudi, reprenant en Roumanie sa dichotomie favorite entre « des projets qui veulent construire l’Europe et des projets qui veulent la déconstruire », pour mieux placer le Rassemblement National dans la deuxième catégorie. Une réduction binaire qui agace dans certains cercles européens, mais qui n’en traduit pas moins l’un des principaux enjeux du scrutin : la possibilité d’une percée des nationalistes et des eurosceptiques.
Le réveil des droits dures
Avec le succès attendu de la Ligue de Matteo Salvini en Italie, le score possible d’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, le maintien du Rassemblement National à un niveau élevé ou l’ apparition d’un vote d’extrême droite en Espagne , le camp de ceux qui reprochent à « Bruxelles » une insupportable ingérence dans les affaires nationales a le vent en poupe.
Il faut également mentionner la participation, longtemps impensable mais désormais certaine, des Britanniques au scrutin, et la réussite assurée du parti du Brexit de Nigel Farage. Sans compter la dynamique qui ne se dément pas derrière Viktor Orban en Hongrie : le sulfureux chantre de « l’illibéralisme » a fait de la Commission européenne l’ennemi public numéro un et de l’immigration sa ritournelle électorale quotidienne. Il pourrait être tenté de quitter la grande famille des conservateurs européens du PPE pour construire, avec d’autres représentants de la droite dure européenne, une nouvelle alliance capable de peser plus lourd au Parlement.
Paradoxe
Certes, le camp souverainiste ne devrait pas être en mesure de prendre le pouvoir le 26 mai au soir, d’autant que rien ne garantit sa capacité à parler d’une seule voix, compte tenu des divergences de fond qui le traversent. Mais sa probable dynamique aurait un pendant très concret : l’effritement plus ou moins prononcé des grands partis traditionnels – droite et gauche confondues.
De quoi rendre plus inévitable que jamais, pour les partis pro-européens, la construction d’une coalition transpartisane, car aucun grand parti ne devrait être en mesure de constituer facilement une majorité. D’où ce paradoxe : la polarisation croissante de l’électorat devrait entraîner une négociation inédite pour accoucher d’institutions en état de marche, et pourrait déboucher sur une Europe largement gouvernée… au centre.
(Les Echos 13/05/2019)