Sous les coups de boutoir du protectionnisme et du nationalisme, les institutions économiques et financières créées par les accords de Bretton Woods il y a soixante-quinze ans pour organiser le système international sont plus ou moins fragilisées, et toutes contraintes à se réformer. Au même titre que l’OMC, née 50 ans plus tard.
Au regard d’un XXIe siècle où le chacun pour soi règne en maître sur la scène économique internationale, les accords de Bretton Woods , qui ont donné naissance au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale, sont devenus le symbole d’un « âge d’or du multilatéralisme ». C’est le constat établi la semaine dernière par François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, lors d’un symposium organisé par la banque centrale à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de la célèbre conférence internationale qui s’est tenue dans le New Hampshire du 1er au 22 juillet 1944. Les délégués de 44 pays étaient alors parvenus à mettre d’accord des nations encore engagées dans la Seconde guerre mondiale afin de réguler le système monétaire mondial et reconstruire les pays dévastés. Certes, ce système a d’abord profité au dollar, dont la suprématie est toujours intacte, mais il a aussi donné une dynamique à une nouvelle gouvernance économique mondiale.
Résilience ?
Force est de constater que la résilience des institutions créées à cette occasion est aujourd’hui de plus en plus testée tandis que la coopération économique internationale est freinée, empêchée par certaines nations qui ne veulent plus jouer les règles du jeu choisies en 1944 pour préparer la paix. « La plus grande nation commerciale [les Etats-Unis] est devenue crapule », observe, sans mâcher ses mots, l’Américaine Anne Krueger, ancienne numéro deux du FMI. « Le commerce et la globalisation – ainsi que la technologie – ont redessiné la carte économique, et les retombées s’en font sentir en Europe comme aux Etats-Unis : montée de la colère, polarisation politique et populisme. On risque ce qu’on pourrait appeler un Bretton Woods inversé », estime David Lipton, directeur général par intérim du Fonds monétaire .
Crise profonde à l’OMC
De l’ordre nouveau qui avait émergé, après la Seconde Guerre mondiale, avec la création du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, c’est l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui traverse la crise la plus profonde, a souligné à Paris Cecilia Malmström, commissaire européen au Commerce.
A commencer par la défaillance de son organe de règlement des différends. « La réforme de l’OMC doit être notre priorité […]. Le libre-échange ne doit pas être réduit à du laisser-faire, du laisser-aller », a souligné Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, alors que la guerre commerciale fait rage entre Washington et Pékin.
De son côté, « le FMI est dans une phase de transition », constate David Lipton. S’il veut conserver le système des quotas pour la gouvernance, « on ne peut espérer maintenir notre portée mondiale et les ressources dont nous avons besoin que si les pays, qui gagnent en importance économique et qui sont prêts à prendre leur responsabilité, gagnent davantage de poids dans le Fonds ».
Nouveaux défis
Institutionnelle et politique, la crise traversée par les institutions de Bretton Woods menace la stabilité du système financier et appelle à la recherche de solutions nouvelles.
Non seulement pour améliorer la gouvernance et l’efficacité des organisations, mais aussi pour répondre aux défis posés à ces dernières par de nouvelles problématiques : réchauffement climatique, numérisation de l’économie et montée des inégalités. « Le bilatéralisme ne pourra pas répondre aux grands déséquilibres », assure François Villeroy de Galhau. Au contraire, le gouverneur de la Banque de France appelle à toujours davantage de multilatéralisme, en rapprochant notamment les institutions de Bretton Woods de celles des Nations unies. Un moyen d’offrir un nouveau cadre financier comme avec le NGFS (« Network for greening the financial system »).
Une partie de la réponse peut aussi se trouver dans un nouveau jeu d’alliances. Face aux hégémonistes que sont les Etats-Unis et la Chine, d’autres pays peuvent s’accorder sur des règles de compétition et de coopération communes. C’est le cas du Japon, qui sort de son isolationnisme, affirme Takatoshi Ito, professeur à Columbia University. Coup sur coup, le pays a signé un accord de libre-échange avec l’Union européenne et avec onze pays membres du Trans Pacific Partnership. « Si jamais la Chine mène à bien ses réformes, on finira par l’accepter au sein du TPP avant les Etats-Unis. Voilà l’étrange monde dans lequel nous vivons ! »
(Les Echos 22/07/2019)